SASHA&LOTTIE ❥ « Clair de lune. »

    Depuis son plus jeune âge, on n'avait cessé de lui répéter que le sommeil n'apportait que du bon. Le seul fait de dormir permettait de se ressourcer, de ne plus penser à rien et de s'apaiser... soigner les maux par le sommeil était une technique ancestrale, et pendant longtemps on avait réussi à lui faire croire qu'on pouvait guérir d'une maladie rien qu'en dormant. Mais en grandissant, elle avait été contrainte de constater que ça n'étaient que des histoires pour faire taire les petites filles. Et pourtant, elle tentait de s'accrocher à ces savoirs qu'on lui avait enseignés ! Quand bien même elle aurait été forcée de se rendre à l'évidence, elle ne l'aurait fait pas. Pourquoi ? Parce que c'est elle qui avait le pouvoir de décider si ce qu'elle pensait était vrai, ou faux. Là en l'occurrence, elle ne savait plus quoi penser, et préférait ne pas s'embrouiller et continuer de croire que dormir servait bien à quelque chose.

    Mais s'il était aussi utile que ça, pourquoi peinait-elle autant à le trouver ? Charlotte croyait depuis toujours que ce qui était utile se trouvait à portée de main. Ses ciseaux, ses morceaux de tissus et ses pelotes de fil... tout le matériel utile à son métier de chapelière demeurait à proximité d'elle, à condition d'être positionnée non loin de son appartement. Alors pourquoi diable ne parvenait-elle pas à trouver ce maudit sommeil ? Son ours en peluche dans les bras, la demi-fée resta allongée dans son lit et observa longuement le plafond, les yeux exagérément ouverts – en réalité, elle était normal... seulement ses yeux naturellement grands donnaient une illusion d'hyperbole – et la tête remplie de songes plus complexes les uns que les autres. Puis elle se se redressa brusquement sur son lit, comme illuminée par une idée soudaine qui serait venue la traverser. Lentement, elle baissa les yeux vers le sol et étouffa un cri de stupeur en voyant de petits bonshommes sans visages sautiller sur le parquet de sa chambre.

Charlotte ❥ Oh... par partir, vous entendez "sortir d'ici" ? ... Hm, en voilà une idée peu banale... Et pourquoi sortir ? Oh.... ah... je vois... Partons dans ce cas !

    Vu – et entendu – de l'extérieur, Charlotte parlait toute seule. Mais le dialogue tout droit sorti de son esprit troublé prenait tout son sens dans sa tête, et alors qu'elle ouvrait la fenêtre comme l'avaient demandé ses amis imaginaires, la chapelière se stoppa. Doucement, elle se regarda dans le grand miroir qui tapissait le mur droit de sa chambre, face à son lit, elle eut comme une hésitation. Personne ne songerait à dormir en vêtements de ville, et malgré sa marginalité, Charlotte n'échappait pas à la règle. Elle n'était vêtue que d'une petite nuisette légère – malgré la fraîcheur qui régnait dehors – de couleur turquoise, à dentelles noires et dessinée par sa sœur la semaine passée. Charlotte resta un moment plantée devant son reflet, l'air pensif, pour finalement se tourner vers sa fenêtre sur laquelle étaient censés l'attendre ses compagnons de la soirée.

Charlotte ❥ Veuillez m'attendre un instant, il faut que je change de tenue et- AH !

    La pauvre n'eut pas l'occasion de terminer sa phrase car elle trébucha sur l'une des peluches qui traînaient sur le sol de sa chambre, alors qu'elle s'avançait vers son armoire. En temps normal, elle serait allée s'écraser contre le miroir, se serait fait très mal et se serait sans aucun doute mise à pleurer. La pauvre était très sensible en soi, et un petit rien suffisait largement à l'affoler. Mais ce soir, la chance fut de son côté si l'on puis-dire, et son don de passe-miroirs décida de faire effet. Au lieu de se rétamer comme une idiote, elle passa à travers son reflet et fut éjectée de sa chambre pour atterrir... dans la rue. À partir de cet instant, ce qui s'apparentait à de la chance n'en était plus vraiment si vous voulez mon avis. Le temps de se rendre compte de ce qui lui arrivait fut assez long en soi... mais il faut lui pardonner, car il ne devait pas être moins de deux heures du matin à cet instant-là. Charlotte se leva avec peine et regarda attentivement l'endroit où elle était atterrie. Il s'agissait d'une ruelle particulièrement sombre, dont la Fée peinait à distinguer le bout. Elle n'était pas nyctalope, alors voir dans le noir lui était actuellement impossible. Ses longues jambes supportèrent son poids avec difficulté lorsqu'elle tenta de s'avancer à l'aveuglette, mais la seule remarque qu'elle sut faire fut la suivante :

Charlotte ❥ Dites donc, il fait drôlement froid !

Se balader en nuisette alors qu'il devait faire aux alentours de zéro degrés autour d'elle n'était pas judicieux, mais était-ce seulement de sa faute à elle ? Ses pieds nus frôlèrent douloureusement l'asphalte tandis qu'elle prenait une direction hasardeuse dans le but de rentrer chez elle. Il n'était pas dans ses habitudes de restée plantée en attendant qu'on vienne la chercher. « Qui viendrait me chercher ici de toute façon ? » se disait-elle, et pour une fois on ne pouvait qu'approuver ses observations. La jeune fille continua son petit bonhomme de chemin pendanr cinq bonnes minutes, pour se rendre compte qu'il était vrament difficile d'avancer quand ses extrémités étaient gelées. Elle se plaignit à voix haute, pesta contre le froid et finit par se hisser sur une poubelle.

Charlotte ❥ Bah, quelqu'un finira bien pa me trouver ici après tout...

    Ses dires avaient pour habitude d'être contraires à ses pensées. C'était le style de Charlotte, et malgré tout elle parvenait à se suivre, ce qui n'était pas si mal au final. Trop occupée à renter de se réchauffer, elle ne remarqua pas ce jeune homme s'approcher, un peu plus loin dans la ruelle dans laquelle elle avait atteri par accident.